Priorité à la route : stop ou encore ?

Priorité à la route : stop ou encore ?
posté le 3 mai 2008 | catégorie (Im)mobilité, Bio ? Diversité !

La « Fédération belge des routes » a identifié « 155 chantiers à mener ». La Belgioque est pourtant le deuxième pays le plus asphalté d’Europe. Le progrès par le béton est-il encore un point de vue encore défendable ?

De tous les pays d’Europe, la Belgique est l’un des plus « routiers ». Pour 1.000 habitants, il y a, chez nous, 14,5 kilomètres de routes. La moyenne européenne est de 10 kilomètres pour 1.000 habitants. Celle des Pays-Bas, de 7,8 kilomètres. Un territoire saturé ? Non, s’il faut en croire ceux qui plaident pour la réalisation des « chaînons manquants » du réseau routier. Réunis au sein de la Road Federation Belgium, qui regroupe des fabricants de béton et de ciment, mais aussi Touring, le secteur automobile, Delhaize… Ces entreprises influentes ont identifié 155 endroits où des travaux s’imposeraient (1).

Parfois, il ne s’agit pas d’un simple réasphaltage, comme en témoigne notre infographie ci-contre. Argument massue : dans certains lieux clés – les rings des grandes villes sont de ceux-là –, notre réseau routier est proche de la saturation, voire déjà complètement bouché. Pour déboucher ces artères vitales, il faut élargir les voies de circulation, les remplacer par des autoroutes ou carrément en créer de nouvelles. L’un des dossiers emblématiques des chaînons manquants fait actuellement l’objet d’une âpre bataille, sur les hauteurs de Liège. Il s’agit de la liaison A605 Cerexhe-Heuseux-Beaufays, qui bouclerait, au sud-est, le contournement de la cité ardente. Dont coût à charge des pouvoirs publics : 400 millions d’euros (au bas mot). Mais au-delà de ce projet qui a déjà rencontré un premier avis négatif de la Commission européenne, se profilent d’autres chantiers colossaux. Le bouclage du ring au sud de Bruxelles et son élargissement au nord. La finalisation du ring au nord d’Anvers, une liaison entre Haut-Ittre et Rebecq…

Insensé face aux enjeux environnementaux et climatiques ? Ou saine gestion comme le professent les tenants des chaînons manquants ? Entre 1970 et 1990, le réseau autoroutier en Belgique a été multiplié par quatre. Entre 1990 et 1999, il a encore progressé de 3,1 %, pour atteindre 1.682 km ; ce qui place notre pays à la deuxième position européenne en terme de densité autoroutière. Depuis 1990, les émissions de gaz à effet de serre liées à la route ont augmenté de près de 30 %.

« Nous sommes partisans de la multimodalité [le « panachage » de différents modes de transports, NDLR], indique Yves Decoene, le secrétaire général de la RFB. Mais il n’en reste pas moins que le trafic ne cesse d’augmenter. Ainsi, à Bruxelles, le RER ne sera pas prêt d’ici 2016. Entre-temps, le trafic sur le ring augmente de 10 à 15 % par an ». Or, la fédération routière estime qu’en faisant sauter le goulet, on optimalise la productivité de l’investissement en infrastructure.

Pour autant, analyse un expert universitaire, « s’il y a une série de points pertinents dans les revendications de la Fédération, leur liste de chaînons manquants ressemble plus à une lettre à Saint-Nicolas qu’autre chose ». Jean-Yves Saliez, secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie, dénonce la « fuite en avant » du secteur routier dont le discours est déconnecté des enjeux actuels (2). « Quand le pétrole sera inabordable, que fera-t-on de ces routes dont on ne pourra plus faire l’entretien ? Quel concept curieux, ces chaînons manquants, alors qu’il y a déjà une telle densité de routes ! »

Pour Henri-Jean Gathon, professeur d’économie des transports à ULg, « en dehors de quelques grands projets d’importance européenne dont on a effectivement besoin – et CHB en fait partie – notre territoire n’est pas extensible ». Beaucoup d’experts sont hostiles à la création de nouvelles infrastructures. « Les tenants du transport routier n’en auront jamais assez », glisse l’un d’eux. « Aujourd’hui, la Fédération identifie environ 150 chaînons, souligne Bart Jourquin, professeur à la Louvain School of Management (Fucam). Demain ce sera 200… »

Saliez poursuit : « Quantité d’études ont montré qu’on résout un problème ponctuellement en construisant une nouvelle route. Mais on crée en même temps un effet d’appel qui rend la situation encore pire quelques années plus tard ». Ils sont nombreux, dans les universités à partager cette analyse. « Il y a une spirale : plus on crée des infrastructures, plus celles-ci attirent des véhicules, accroissant le risque de nouvel engorgement, reconnaît Emile Merenne, ancien professeur de géographie à la Haute École Charlemagne (Liège). « Aujourd’hui, la mobilité est assurée à 80 % par la route, indique Hugues Duchâteau, directeur du bureau d’études Stratec. Mais la route perd petit à petit son efficacité en raison de la congestion ».

La solution ? Beaucoup d’experts peuvent accepter la réalisation de certains chaînons, tout en l’accompagnant d’une perspective à plus long terme – « dont seule une vision politique peut fixer le cadre », estime Duchâteau. La base de la vision : « Il faut opter pour autre chose que la route, insiste Gathon. Cela passera par l’instauration d’un péage généralisé dont l’argent servira à développer les alternatives de transports en commun ».